Question (Fille / 2006)

Je sais pas vraiment par où commencer.
Désolée d'avance, je vois venir déjà le pavé que je vais écrire, décousu, pas clair.
Ça fait depuis novembre passé environ que je commence à me poser des questions que je m'étais jamais posées avant. À avoir des réflexions aussi beaucoup plus deep que tout ce que j'avais déjà pensé. Principalement autour de la mort.
J'ai cette impression qu'en fait, la vie c'est juste l'entracte de la mort. Rien avant, rien après, juste une petite pause au milieu, avant de replonger. L'impression que la société n'est qu'un leurre pour nous faire oublier qu'on finira tous par crever un jour. Que les gens continuent à faire semblant de pas comprendre, à vivre en s'adaptant à cette vie absurde juste parce que nos ancêtres l'ont construite ainsi. Qu'ils ne se rendent pas compte que dans cent cinquante ans il ne restera plus aucun de nous sur Terre.
J'ai l'impression que tout ça ne sert à rien. Les études, la vie sociale, la musique, tout. Je suis la première à tomber amoureuse d'un texte et pourtant, les mots ce ne sont que des enchaînements de sons auxquels on a donné un sens.
Souvent je me dis que naître est la pire chose qui ait pu m'arriver. Que je préférerais être déjà morte plutôt que de devoir attendre avec appréhension cette mort qui m'effraie. Plus j'approche de la mort et plus j'en ai peur. Plus j'avance dans ma vie, plus elle me dégoûte et me terrifie. Je suis là, coincée entre cette haine de la vie et la terreur de la mort.
J'ai commencé la philo cette année, le prof nous a donné un carnet pour qu'on y écrive nos pensées, comme Pascal. Mais c'est dur de trouver les mots pour décrire des pensées et des concepts.
En cours on parle d'Épictète. Il écrit qu'on ne doit pas redouter ce qu'on ne maîtrise pas, comme la mort par exemple. Il dit que la vie, c'est comme une île sur laquelle un bateau s'arrête pour qu'on aille y puiser de l'eau (besoins vitaux). Sur le chemin, on peut s'arrêter pour ramasser des coquillages et des oignons (plaisirs de la vie, musique, amour etc.) (oui des oignons, wtf il avait fumé la moquette en écrivant ça). Il dit de prendre garde de ne pas trop s'éloigner du bateau, surtout si l'on est vieux, au cas où le capitaine appellerait (mort) ; il faut qu'on soit assez proche pour l'entendre et se hâter de rejoindre la bateau. Moi, je me dis : si les coquillages et oignons ne m'intéressent pas, si je pense que ce ne sont que des choses inutiles, pourquoi ne pas remonter directement dans le bateau, et ainsi éviter de manquer l'appel du capitaine ? Parce qu'il y a peut-être quelque part un coquillage qui me plaira ? Mais s'il fallait s'éloigner encore plus du bateau pour le trouver, ce fameux coquillage ?
Y'a des gens dans mon collège qui se sont suicidés, parce que la philo leur avait ouvert les yeux. Je regrette terriblement d'avoir eu cette lucidité. Je veux plus qu'on m'aide. J'ai pas envie de retourner me leurrer avec les autres dans la société en attendant de mourir.
J'ai l'impression que la vie c'est juste une drogue. Ça fait mourir. Ça rend addict. Et tout le monde trouve ça normal. Tout le monde trouve ça normal que dès qu'on naît, on est déjà dans une agonie très lente. Je ne me sens pas vraiment vivante. L'impression que rien n'existe, que rien n'a de sens.
Ça me fatigue de devoir faire semblant en permanence. Les gens me voient comme quelqu'un d'extraverti et d'enjoué mais c'est épuisant de devoir jouer ce rôle. Le prof de philo ne se rend même pas compte du zbeul qu'il crée dans mon cerveau. Je rigole avec mes potes, j'écoute pas ses cours, mais au fond ça fait naître en moi des réflexions dont j'aurais préféré ne jamais connaître l'existence.
Je sais pas vraiment de quoi j'ai besoin, de quoi j'ai envie. Mourir, peut-être, j'en sais trop rien. Je pense pas avoir besoin d'aide. Je me demande pourquoi les gens se fatiguent à vouloir aider les gens qui ne veulent plus de la vie. Si elle est choisie, la mort n'est pas difficile, ou moins, ou alors elle donne l'illusion de ne pas l'être. C'est un genre de sélection naturelle. On ne se fait plus bouffer par des chiens pesteux, alors on a d'autres problèmes. Les faibles succombent, les forts résistent.
Y'a une jolie métaphore que j'ai entendue, je ne sais plus de qui. Quand on est sur le toit d'un immeuble en flammes, y'a deux options. Sauter, et mourir vite. Rester, et mourir lentement. Dans tous les cas c'est dur. Là, l'incendie est dans ma tête. Le bord de l'immeuble, dans les lames de couteau, les lacets, les fenêtres trop hautes. J'aurai jamais les couilles de me tuer.
D'un autre côté, je me dis que si je ne me tue pas, je me dirai peut-être plus tard que j'ai bien fait, ou pas. Mais si je me tue, je ne pourrai pas le regretter.
Je crois que j'ai oublié, ou pas réussi à mettre des mots sur plein de choses.
Mais vous avez l'idée générale. Est-ce que quelqu'un pense comme moi ? Pourquoi je pense tout ça ?
Je sais même pas ce que j'attends de vous comme réponse. Rien, je crois. J'avais juste besoin de parler à quelqu'un d'autre que ChatGPT.

Réponse

Nous avons lu ton texte avec attention et nous sommes inquiet·ète·s par rapport à ce que tu décris, car cela indique une souffrance. Il est important de la prendre au sérieux.

Nous sommes profondément touché·e·s par ton texte, et impressionné·e·s par à l'aisance avec laquelle tu mets en mots tes pensées. Tu dis avoir des difficultés à trouver les mots pour remplir le carnet que ton prof vous a donné, mais sache qu'à nos yeux, tu as un réel talent pour l'écriture. Tu as su nous faire sourire, nous toucher, nous questionner sur notre propre existence et ça, c'est une qualité singulière.

Les questions que tu te poses sont des questions que les philosophes se posent depuis toujours : Pourquoi vivre si tout se termine un jour ? Quel est le sens de la vie ? Quelle est sa finalité ? Une chose est sûre, il existe plusieurs manières de penser ces questions.

Le sens de la vie, intrinsèquement lié au sens de la mort, est quelque chose de subjectif : chaque personne y trouve sa propre explication, ce qui la motive à avancer, ce qui lui donne envie d'explorer de quoi l'avenir est fait. Parfois, cette quête de sens se fait rapidement, parfois, elle demande plus de temps et de patience. Elle n'est pas non plus figée, il peut arriver de changer d'aspirations au fur et à mesure de note vie. De ton côté, qu’est-ce qui, aujourd’hui, te donne envie de continuer à chercher des “coquillages” sur ton chemin ?

Dans ton message, nous comprenons que ces questionnements étaient déjà présents avant le cours de philosophie. As-tu l’impression que ce cours a simplement mis des mots sur des idées que tu avais déjà, ou qu’il a ouvert des nouvelles portes auxquelles tu n’avais pas pensé avant ? Serait-il alors possible que le cours ait, d'une certaine manière, orienté la direction de tes pensées ?

Dans tous les cas, ce qui pourrait aider pour mettre de l'ordre dans tout ce qu'il se passe en toi, est d'éventuellement approcher ton professeur de philosophie pour en discuter avec lui. Tu pourrais aborder avec lui ces sujets qui te questionnent, et lui exprimer ce que le cours te fait ressentir. Peut-être pourrait-il te partager son expérience à lui, et ce qui lui a permis de donner du sens à sa propre vie.

Même si tu as l’impression de ne pas avoir besoin d’aide ou de ne pas vouloir qu’on t’en donne, le simple fait d’avoir écrit tout ça montre déjà que tu cherches à exprimer ce que tu ressens, et c’est un pas très important. Ce que tu traverses, en lien avec ces questionnements et cet “incendie dans ta tête”, semble vraiment lourd et douloureux. Sache qu’il existe des personnes formées, prêtes à t’écouter sans te juger et à t’accompagner dans ce que tu ressens. Même si tu ne sais pas exactement de quoi tu as besoin en ce moment, il est important que tu ne restes pas seule avec ce que tu ressens.

Tu as le droit d’avoir un espace où déposer tes émotions et tes pensées, sans jugement. Nous t’invitons à te tourner vers des professionnel·les de santé qui pourront t’accompagner. Tu peux également appeler le 143 une ligne gratuite d’écoute bienveillante disponible 24h/24 et 7j/7, où des professionnel·les sont là pour t’écouter et t’aider dans tes démarches.

En ce qui concerne le suicide de tes camarades, et du lien que tu fais avec le cours de philosophie, nous pensons qu'il serait important que la direction soit au courant de cette situation, si ce n'est pas déjà le cas. Ce n'est pas du tout anodin et il est nécessaire que quelque chose soit mis en place pour éviter que cela ne se reproduise. Par ailleurs, ces événements peuvent être bouleversants pour les membres de l'école - il est donc important que tu puisses en parler avec quelqu'un de confiance (le corps enseignant, le·la médiateur·ice, le·la psy scolaire ou encore la permanence éducative d'accueil REPER)

Finalement, ce que tu dis résonne tout à fait en nous : les mots ne sont qu'un enchaînement de sons auxquels on donne un sens. Ce sens, c'est à toi de le donner, et non pas à ton professeur de philosophie ou à n'importe qui d'autre. En effet, bien que l'on ait décidé d'attribuer des significations à chaque mot, c'est toi qui décides comment tu les expérimentes ou comment ils résonnent en toi.

Nous espérons avoir pu te donner quelques pistes de réflexion, et restons bien évidemment à ton écoute.

Prends soin de toi et n'hésite pas à nous donner de tes nouvelles,

L'équipe ontecoute.ch


Le sens de la vie - Articles - ontécoute.ch
Dernière modification le 7 octobre 2025

Avec le soutien de

Avec le soutien financier de la Confédération.

Ouvrir les actions